Selon Georges Izambard, Rimbaud aurait écrit ce sonnet, fortement inspiré de l’éloquence épique de Victor Hugo, le 17 juillet 1870 : « Le lundi 18, Rimbaud me remit, après la première classe, le sonnet Aux morts de Valmy qu’il avait perpétré la veille » (Georges Izambard, Rimbaud tel que je l’ai connu, Mercure de France, 1946, p. 64). Cependant, aucune version datée du 17 juillet 1870 n’a été retrouvée. Izambard donne plus d’informations à propos de l’épigraphe (ibid, p. 63-64). Il s’agit d’une référence à un article de Paul de Cassagnac, dans Le Pays, le 16 juillet, appelant à la réconciliation nationale et se référant à 1792 : « Français de tous les partis, républicains, orléanistes, légitimistes, bonapartistes, écoutez car d’ici peu d’instants le canon étouffera nos voix. / Unissons-nous pour la défense de la mère patrie, soyons frères devant l’ennemi. / Vous, républicains, savez-vous qu’à pareille époque, en 1792, les Prussiens entraient en Lorraine, et la Convention déclarait la France en danger. Vous fûtes grands et nobles ; souvenez-vous. ». Après cet appel au rassemblement, Cassagnac magnifie la guerre qu’il qualifie de belle « quand elle plane au-dessus des intérêts particuliers et lorsqu’elle est déclarée pour la sécurité de la patrie » (Le Pays, Journal de l’Empire, n°197, samedi 16 juillet 1870, p. 1.). Il renouvellera cet appel plusieurs fois et particulièrement dans le numéro 225 du 13 août. La date du 3 septembre est une heureuse coïncidence politique. En effet, l’Empire tombe la veille à Sedan (où Paul de Cassagnac a été fait prisonnier), la République est proclamée le lendemain, donc le 4, et dès le 5, Le Pays abandonne son sous-titre Journal de l’Empire. En datant ce sonnet du 3 septembre et de la prison de Mazaas, Rimbaud se présente comme prisonnier d’un régime lui-même vaincu.
« ... Français de soixante-dix, bonapartistes, républicains, souvenez-vous de vos pères en 92, etc... »
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Paul de Cassagnac
– Le Pays –Morts1 de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse
Sur l’âme et sur le front de toute humanité ;Hommes extasiés et grands dans la tourmente,
Vous dont les cœurs sautaient d’amour sous les haillons,
Ô Soldats que la Mort a semés, noble Amante,
Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons2 ;Vous dont le sang lavait toute grandeur salie
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie3,
Ô million de Christs aux yeux sombres et doux ;Nous vous laissions dormir avec la République,
Nous, courbés sous les rois comme sous une trique :
– Messieurs de Cassagnac4 nous reparlent de vous !Arthur Rimbaud fait à Mazas5, 3 septembre 1870
Manuscrit autographe confié à Paul Demeny en octobre 1870.