Arthur Rimbaud

Ses poèmes annotés, sa biographie...

Première soirée

Il existe deux manuscrits de ce poème. Un premier, intitulé « Première soirée », a été confié à Paul Demeny en octobre 1870, et un deuxième, intitulé « Comédie en trois baisers », a été remis à Georges Izambard la même année. Une troisième version, dont le manuscrit n’a pas été conservé, intitulée « Trois baisers » a été publiée dans l’hebdomadaire satirique anti-bonapartiste « La Charge », le 13 août 1870

« – Elle était fort déshabillée1
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement2, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

– Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, – mouche au rosier.

– Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles3,
Un joli rire de cristal

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
– La première audace permise,
Le rire feignait de punir !

– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
– Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c’est encor4 mieux !...

« Monsieur, j’ai deux mots à te dire..... »
– Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien.....

– Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Manuscrit autographe intitulé « Première soirée », remis à Paul Demeny en octobre 1870.


– Elle était fort déshabillée,
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près...

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains :
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins...

– Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner, comme un sourire
Et sur son sein, – mouche au rosier...

– Je baisai ses fines chevilles...
– Elle eut un long sourire très mal
Qui s’égrenait en claires trilles,
– Une risure de cristal

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent... « Veux-tu finir ! »
– La première audace permise,
Le rire feignait de punir !...

– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
– Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Ô ! C’est encor mieux !...

– « Monsieur,... j’ai deux mots à te dire..... »
– Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, – qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien.....

– Elle était fort déshabillée
Ce soir... – les arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée,
Malinement, tout près, tout près.

Manuscrit autographe intitulé « Comédie en trois baisers », remis à Georges Izambard en 1870.


Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains,
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins !

Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner comme un sourire
A son sein blanc, – mouche au rosier !

– Je baisai ses fines chevilles...
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal...

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
– La première audace permise,
Elle feignait de me punir !

– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux.
Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Ah ! c’est encor mieux ! »

– « Monsieur... j’ai deux mots à te dire..... »
Je lui jetai le reste au sein,
Dans un baiser. – Elle eut un rire,
Un bon rire qui voulait bien.....

– Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

Arthur Rimbaud. « La Charge », 13 août 1870.

  1. Référence à Victor Hugo : « Elle était déchaussée, elle était décoiffée » (Les Contemplations, I, XXI). Selon Jean-Paul Corsetti ce poème est une parodie de celui de Victor Hugo (Essais sur Rimbaud, Charleville-Mézières, Musée-bibliothèque Arthur Rimbaud, 1994, p. 43-52).
  2. « Malinement » au lieu de « malignement », comme prononcé dans le nord de la France et en Belgique.
  3. « Trille », masculin, est ici employé au féminin.
  4. « Encor » sans e n’est pas une faute ou une déformation volontaire pour des questions de phonétique. Cette orthographe était autorisée par le Bescherelle de l’époque.